Bonsoir à toutes et à tous,
Traversons le temps ensemble, si vous le voulez bien.
Nous voici à Tamines, enfermés par l'ennemi dans la petite église du village. Hélène, près de ses parents, vit l'enfer. N'y a-t-il aucune échappatoire possible ?
Bonne lecture à toutes et à tous.
Passez une bonne fin d'année.
Dans le renfoncement d’un confessionnal déjà bien occupé, une jeune fille seule, l’air totalement ahuri, les cheveux mêlés, était accroupie sur les talons. Le regard fixe, sans expression, le visage noirci par la fumée, elle semblait voir au loin passer un fantôme.
L’oncle La reconnut immédiatement. Où était son père l’ingénieur ?
Hélène avait suivi la trajectoire visuelle du Bel oncle, et comme elle était près de lui, elle lui suggéra :
-« Vas la chercher, Tonton… »
Il opina de la tête et traversa l’espace qui le séparait de la jeune fille prostrée.
Arrivé devant elle, il fléchit les jambes pour se mettre au niveau de son visage et captiver ainsi le regard vide. Il lui parla avec douceur, ses mains cherchant à prendre les siennes. Alors, Elle releva la figure et parut le reconnaître. Aussitôt, une lueur éclaira ses pupilles et un faible sourire naquit sur ses lèvres. Ils se mirent tous deux debout. Le jeune homme la soutint sans cesser de lui adresser quelques paroles réconfortantes. Peu à peu, une conversation s’établit ; elle devait lui raconter la façon dont elle s’était trouvée là. Son teint était pâle mais ses yeux avaient retrouvé toute leur vivacité. L’oncle la dirigea vers notre petite famille ; elle ne serait plus seule, désormais.
Puis, il fit les présentations.
- « Je vous présente Catherine », avait-il dit simplement.
Aussitôt, les mots de sympathie fusèrent et la jeune fille, mise en confiance, répondit poliment à chacun.
Elle alla même jusqu’à déposer un baiser sur le front d’Hélène. Elle lui expliqua qu’elle aurait aimé avoir une petite soeur comme elle.
L’adolescente fut conquise.
Faute d’avoir Catherine pour grande sœur, elle se dit qu’elle pourrait apprécier de l’avoir comme Tantine. Ses préjugés et sa jalousie venaient d’être abattus.
Franciscus demanda à Catherine où se trouvaient les siens.
-« J’ai été séparée de mon père, lorsque les allemands m’ont introduite ici.
- Et vos autres parents ?
- Nous vivons seuls, mon père et moi. »
Par protection et pour couper court à toute autre question, le Bel oncle, prit la parole.
-« Catherine a perdu sa mère, il y a un peu plus d’un an. Le reste de la famille vit à Ostende. »
Chacun la rassura, lui offrant un soutien en attendant de connaître l’endroit où était détenu son père.
Jeanne aida la jeune fille à reprendre figure humaine. Elle passa un mouchoir sur son visage noirci et lissa ses cheveux fous.
L’oncle éprouvait un bonheur sans borne et tout l’amour qu’il avait en lui, irradiait à chaque seconde. Il ne tarda pas à entourer Catherine, d’abord de timides attentions puis, enfin, de ses bras. Il la pressait sur son coeur, tout en lui demandant si elle se sentait mieux. La jeune fille, quant à elle, posa sa tête sur l’épaule du jeune homme. Celui-ci ravi, conscient de la magie du moment, lui baisa le front, chastement.
Hélène eut l’impression que chaque geste, à la fois si anodin et intense, ralentissait les aiguilles diaboliques de l’horloge universelle. Il s’en détachait une tranche d’éternité sereine.
C’était cela qu’elle souhaitait garder en mémoire de cette terrible journée, et pour le restant de ses jours ; un couple de jeunes gens, accolés tendrement l’un à l’autre.
Ce fut à ce moment précis que le Bel oncle sortit de sa poche un objet splendide.
Dans un morceau de chêne, un couple de colombes avait été sculpté, si finement, que l’on pouvait compter leurs plumes. Un des deux volatiles avait les ailes déployées, comme s’il venait juste d’atterrir sur le bord du petit nid. Son bec, légèrement entrouvert, était penché vers celui de son conjoint. La femelle, quant à elle, couvait. Elle levait la tête vers l’arrivant. Ils se trouvaient tous deux bec à bec. Leur posture évoquait un amour triomphant. Sur la fourche naturelle d’une branche, de fines brindilles étaient tressées, travaillées avec une telle minutie que chaque détail de l’écorce y était représenté et paraissait réel.
Combien d’heures de travail l’ouvrage représentait-il ? Hélène n’en avait aucune idée. Elle essaya de se remémorer toutes les fois où elle avait surpris son oncle, assis, près du pigeonnier, façonnant de sa gouge, avec ardeur et patience, le morceau de bois.
Quand on aimait, le temps comptait si peu !
-« Alors, » se dit-elle, « il devait l’adorer, sa Catherine, pour avoir passé autant de soirées à œuvrer ! »
Elle fut étonnée de ne plus ressentir de jalousie, et sans arrière pensée, elle admira, de loin, le fabuleux chef d’œuvre.
Timidement, le Bel oncle le tendit à la jeune fille, et dit, simplement :
-« Je les ai faits en pensant à vous… Et je vous les offre. »
Il aurait souhaité rajouter : « avec tout mon amour », mais sa pudeur le lui interdisait.
La jeune fille parut subjuguée.
- «Que c’est beau ! Comme vous êtes habile, on dirait des vrais… Je ne sais comment vous remercier…
- En les gardant toujours auprès de vous. J’aurais aimé faire mieux, mais…
- C’est un travail magnifique ! Comment avez-vous deviné que les colombes étaient mes oiseaux préférés ?
- Ce n’était pas bien difficile : votre cher Papa ne vous appelle-t-il pas « ma colombe » ? »
Une lueur anxieuse habilla le regard de Catherine.
-« Ne vous en faites pas », reprit l’oncle, « nous le retrouverons. Les allemands doivent le détenir ailleurs. Peut-être a-t-il pu même leur échapper ?... »
Les larmes aux yeux, Catherine tournait et retournait entre ses mains le petit nid habité.
L’oncle ne sut si ces larmes dévoilées étaient dues à l’évocation de l’ingénieur ou à l’émotion que faisait naître en elle son cadeau. Secrètement, il espérait que l’intérêt suscité par son travail primait sur l’angoisse qu’elle éprouvait.
La finesse et l’expression donnée aux oiseaux par l’artiste étaient si remarquables, que la jeune fille se mit à caresser le plumage d’une des colombes.
Levant son regard vers le jeune homme qui la dominait d’une tête, elle lui dit :
-« C’est promis, je les mettrai sur ma commode dans ma chambre, comme cela, moi aussi, je penserai à vous, tout le temps »
Elle aurait voulu rajouter, que ses pensées étaient déjà, depuis quelque temps, occupées par le jeune homme. Mais elle n’osa pas.
Délicatement, le Bel oncle pencha son visage vers celui de Catherine. Leurs lèvres se frôlèrent.
Un bruit sourd de serrures mises en action remplit soudain l’espace. Il s’amplifia pour ricocher sur chacune des voûtes de l’édifice. Le grand portail fut alors ouvert, en grinçant désagréablement. Instinctivement tous les occupants de l’église se figèrent et se regroupèrent par famille. Chacun agrippait le bras de sa chacune.
Des soldats allemands armés s’engouffrèrent vers l’intérieur. Et dans le silence causé par l’effroi, leurs bottes claquaient sur les dalles.
A suivre ........
Douce soirée à tous.
Amitiés.
LOLO